mardi 25 novembre 2008

Réunion banale d’un délégué du personnel


14 heures. La grande salle de réunion est vide. Je suis le premier à franchir la porte.
Je prends place au milieu de la table, face à l’entrée. Position stratégique pour observer l’attitude de celui ou celle qui arrive. Et indispensable pour éviter d’être surpris par derrière.
Le numéro Un entre à son tour.
Il a un visage rond. Les épaules en arrière. Le style ancien sportif qui s’est reconverti au sport automobile. Elégant, charmeur, parfumé. C’est un homme confiant et dominateur qui n’aime pas baisser le regard. Un joueur qui aime jouer avec les mots, capable de passer sans complexe du registre des mots vulgaires aux expressions littéraires.
Il me jette un regard furtif. Il pose ses papiers sur la table face à moi. Jette un rapide coup d’œil dans ma direction. Ressort et revient quelques minutes plus tard avec un café.
Nous sommes tous les deux, je demande ?
Mylène va nous rejoindre, répond-il sèchement.
Silence pesant de plusieurs minutes.
Je sais que Mylène s’est rangé définitivement du côté de la Direction. Son comportement est trop prévisible. Elle manque de doigté. Je pense à ma situation quelque peu privilégiée de délégué du personnel. J’ai un avantage non négligeable, certes. Celui de ne pas être viré au gré de l’humeur du Numéro Un sans l’aval de l’inspection du travail. je ne suis pas dépendant d’une décision arbitraire. Je dépends du jugement d’un représentant d’une organisation gouvernementale. Un fonctionnaire du ministère du travail et da la cohésion sociale. Son rôle : vérifier la loi et son application au sein de l’entreprise.com.
L’inconvénient : ne pas connaître mon degré de résistance aux pressions et aux harcèlements divers qui commencent à se mettre en place. Une guerre des nerfs débute. Qui gagnera à ce petit jeu. Seul contre tous. Tous, c’est la Direction. Un Chef et son armée à la botte du grand chef. J’ai un rôle à tenir aussi. Celui de défendre les intérêts d "un groupe d’hommes et de femmes non protégés par la crise, la grave crise économique qui s’annonce. Une crise qui va faire des morts dans les troupes. Ceux qui sont en première ligne dans les tranchées de hot-line, de traducteurs, de formateurs face aux clients.
Le numéro Un lance un début de discussion.
alors comme ça, vous allez m’aider à gérer mes heures supplémentaires. Ca fait longtemps que je n’avais pas eu un vrai délégué du personnel.
Je ne vois pas les choses comme ça.
Moi, je suis un pauvre patron de PME. Je travaille plus de soixante heures par semaine. Est-ce que c’est légal ? je compte sur vous pour me le dire !
Connaître le code du travail, c’est une chose. Respecter la loi, c’en est une autre, je rétorque.
Si on devait connaître toute la loi avant de faire quelque chose, on ne ferait rien. Je n’aurais jamais créé mon entreprise si j’avais dû prendre des cours de droit du travail et appliquer tout ce que disent les lois.
C’est peut-être un tort, lui dis-je avec un sourire en coin.
Tu sais la loi, j’en ai rien à foutre. Si tu as un salaire à la fin du mois, c’est grâce à moi, qu’il me lance.
ET si vous avez du chiffre d’affaires, c’est grâce à nous les travailleurs, que je lui réponds. Sans chiffre d’affaire, vous n’auriez pas de salaire.
Enfin un discours normal ! Je suis le patron. C’est à moi de décider qui je récompense à la fin du mois, de l’année. Sous forme de chèques cadeaux, de primes diverses. Tant que la loi ne me rappelle pas à l’ordre, la loi, c’est moi.
Je pense que je vais devoir vous rappeler certains principes, Monsieur le président. Nous allons discuter maintenant en présence de la délégué du personnel suppléante, si vous le voulez bien.
Mylène entre dans la pièce, un café dans une main, son bloc - notes dans l’autre main. Le visage impassible toujours aussi froide. Froide comme la grande glace verticale qui fait face à l’entrée.
Le numéro Un se tourne vers Mylène.
Christophe va grandement nous aider. Bon ! On commence ?
Je tente de ne pas laisser transparaître le moindre signe d’agacement. Léger grattement de gorge. Je prends la parole, explique en quelques mots le déroulement de la séance des questions / réponses, rappelle le principe du délai de réponses que la Direction de l’entreprise doit respecter. Sous forme écrite.
qui prend les notes, questionne le numéro Un ? Vous avez un appareil pour enregistre notre réunion.
Non, je réponds.
Je rappelle sur un ton solennel les règles du jeu.
Les notes peuvent être prises par n’importe lequel d’entre nous. L’objectif n’est pas de rédiger un compte rendu la de réunion. Vous avez un délai de six jours ouvrés pour restituer au délégué du personnel, les réponses aux questions que je vais vous poser pendant la réunion. Le temps que nous allons passer sera pris sur le temps de travail de chacun d’entre nous. Par ailleurs, en tant que délégué du personnel titulaire, j’ai le droit de disposer de dix heures de délégation par mois, dans l’enceinte de l’entreprise ou à l’extérieur. Je vous préviendrai la veille au plus tard pour toute absence en rapport avec mes obligations de délégué du personnel.
Très bien, lance sur un ton ironique le numéro Un, simulant un léger clappement de mains en direction de son assistante, la déléguée du personnel suppléante à sa solde !
Je tiens à ne pas dépasser les prérogatives qui me sont octroyées, selon le du code du travail, j’ajoute sur le même ton.
Alors ! la question numéro Un, c’est quoi ?
Pourquoi près de la moitié des employés de l’entité que vous dirigez n’est jamais passé à la visite médicale pourtant obligatoire ?
Je suis contre les monopoles. Une seule organisation dirige cette activité pour l’ensemble du Département géographique. Leur pratique tarifaire n’est pas correcte. Le tarif est proportionnel au nombre de salariés. Il n’est pas possible de négocier quoique ce soit.
Le discours d’un patron révolutionnaire qui se dresse contre les monopoles du grand capitalisme. Quel joli symbole !
Ce n’est pas une raison pour ne pas respecter les visites !
L’entreprise s’est mis à jour depuis la semaine passée.
Très bien.
Question suivante !
Pourquoi aucun des employés que j’ai interrogés ne touche la prime de congés annuelle ?
Mylène, passez moi la convention collective et prenez un stylo.
Le " numéro Un " parcours l’index, tourne quelques pages.
Le voilà, l’article. Mylène, prenez note pour le délégué du personnel titulaire de ce qu’il devrait connaître et que nous allons lui rappeler.
Il me récite la totalité de l’article des primes : " selon l’article 31, Toutes primes ou gratifications versées en cours d'année à divers titres et
quelle qu'en soit la nature peuvent être considérées comme primes de vacances "
Il me prend pour un con ou il tente de me déstabiliser en jouant le jeu d’une ironie déplacée.
je respecte l’article de la convention, vous voyez !
Permettez moi de remettre en cause votre interprétation. Mon syndicat et une jurisprudence récente datée du mois de juillet a relevé une ambiguïté relative à cet article.
Montrez moi votre jurisprudence ?
Je vous l’enverrai.
Une heure trente plus tard, le PDG me demande si la séance peut être levée.
oui je réponds.
Mylène, tu peux clore la réunion.
Mylène quitte la grande salle. Le numéro Un referme la porte derrière, se retourne vers moi, et me scrute avec un méchant regard. Comme pour me déshabiller des pieds à la tête.
tu veux la guerre, c’est ça, tu la veux ? la guerre ça fait des morts.
je prends une profonde inspiration et le regarde droit dans les yeux.
pourquoi me parlez vous ainsi ?
t’es un gros enculé !
Il ouvre brutalement la porte et disparaît dans le couloir. Je n’ai pas le temps de réagir. Merde, me dis-je ! Il a vu mes deux mains qui étaient posés sur la table. Aucune d’entre elles ne tenait d’autre objet qu’un stylo et une feuille de papier. je n’avais pas de Dictaphone. Il le savait. Un stylo et une feuille de papier, ça ne parle pas.


Dans le couloir, je croise le responsable informatique.
je vous ai entendu, me lance-t-il. L’ambiance n’est pas bonne.
Tu écoutes aux portes, je lance, comme pour détendre l’atmosphère ?
Non mais c’est difficile de ne pas remarquer qu’entre toi et le président, c’est pas top !
Tu as raison. Qu’est-ce que tu proposes ?
Je crois que c’est pas possible de rester délégué du personnel dans ces conditions.
Nous y voilà, Jérôme ! C’est quoi un bon représentant du personnel ou syndical ? celui qui fait ce que lui demande le boss ou celui qui agit dans le sens des employés ? réfléchis à ça.
Je vais y réfléchir.
Bonne journée Jérôme.

Mission X1

générique

L’entreprise
Entreprise générale.com
Personnages principaux
Christophe Joffrey : la victime
Benoît Grosjean : le commercial
François Lebec : le PDG
Jérôme : le responsable informatique
Caroline : l’inspectrice du travail
Mylène Jacob : une des vendues au patron
Patricia Lecomte : la compagne de la victime
Jules : l’ingénieur informaticien, ami de la victime
Jean-Yves : un autre ami de la victime
Maître Jean George : l’avocat du PDG
Maître Stéphanie Verne : l’avocat de la victime

Personnages secondaires
Jean Le moustachu : l’huissier de justice
Victoire : la collègue harcelée


Nuit noire
La tête au raz du sol, une main dans les cheveux qui me restent sur le crâne, j’attrape avec l’autre main, la casserole remplie de choux pourris posée sur le sol en béton.
" Dans un heure, dans la cour ", que j’entends.
la fenêtre encadrée de barreaux laisse filtrer un bout de rayon de soleil. Je suis seul dans la pièce de 15 m2. Y’a deux lits. L’autre est vide. Pas pour longtemps, qu’on m’a dit.
Mon avocate Stéphanie Verne, est passée me voir la veille à 18 heures. Les mots me reviennent en tête.
- L’employeur a deux témoins à charge contre vous.
- C’est qui ?
- Premier témoignage : une employée du service Comptable de la filiale " Entreprise générale ".
- C’est pas possible. On n’a jamais passé un seul moment ensemble.
- Elle a témoigné. Menaces verbales au 8èmé étage bureau A101. Attouchements sous la contrainte. Son chemisier a été déchiré. Si on ne fait rien, c’est deux ans d’emprisonnement avec sursis. Cent mille euros d’amendes.
- Je tiendrai pas dans ce trou à rats.
- Il faut réagir. On n’a pas le choix.
- Tout est faux. Je tiendrai pas dans ce trou à rats !
- Pourtant il le faut - du moins quelques semaines - quelques mois peut être. On n’a pas le choix. Entre nous, de vous à moi, est-ce que vous avez eu une relation extra-professionnelle avec cette personne ?
- Tout est faux, je vous dis. Elle est méchante, vieille et laide.
- Ca, c'est pas un argument, bien au contraire. Nous allons devoir prouver que c'est un montage pour vous écraser. Dénonciation calomnieuse de troisième ordre. C'est très cher!
La porte s’est refermée derrière le manteau noir.
Je me réveille en sursauts. Il est dix heures. Merde ! je suis en retard.
Je m’habille en quatrième vitesse. Quarante minutes pour rejoindre le siège de la Société. Sortie 12 sur la A86. Le Directeur commercial m’a donné rendez-vous pour une nouvelle mission. Si je ne suis pas là dans quarante minutes, c’est la faute grave. Il sera accompagné d’un huissier. Les deux somnifères m’ont plongé dans un profond sommeil. Mes idées s’entrecroisent. Le stress m’envahit le corps entier. Il guide mes gestes qui deviennent maladroits. J’avance à 120 kilomètre à l’heure sur la troisième voie.

Dis oui ou disparais

Préambule
Ce blog a pour objectif de raconter une histoire vraie. Une histoire qui se répète. Celle d’un cadre d’une PME française confronté au pré-licenciement. Une histoire qui s’enrichit au fil du temps et des événements. Le combat pour la défense de ses droits. Le blog est un moyen d’évacuer les pressions psychologiques subies au quotidien, à travers un plaisir - celui de l’écriture. Le blog est un outil de d’échanges et de partage d’idées. C’est pourquoi, je suis heureux de l’ouvrir à vos commentaires.
Afin d’éviter tout problème, je tiens à préciser que tous les noms évoqués dans le récit sont le fruit de l’imagination de l’auteur du blog. Toute ressemblance dans les noms de personnes ou d’une quelconque entreprise comparable ne serait que fortuite.